La nuit s'étirait sur la côte du Belfalas tandis qu'Erhil, petit garçonnet pétillant, s'affairait sur la plage de galets d'Edhellond, lançant des cailloux au centre du reflet de le lune, sous la surveillance silencieuse de deux femmes assises, une Eldar à l'apparence juvénile et une Edain qui semblait atteindre la maturité.

Ce fut l'elfe qui brisa le silence, l'air songeur: "-Il est bientôt temps.". L'air triste, la femme lui répondit dans un soupir, un regard triste posé sur l'enfant: "-Je sais, emig." Un sourire maternel vint percer sur le visage de l'elfe tandis qu'elle prenait le visage de son interlocutrice au creux de ses mains, ses doigts fins essuyant une larme qui perlait au coin de son œil: "-Ne pleure pas, sell. Depuis six siècles, je veille sur cette famille. J'ai vu passer mon époux, mon fils et mon petit fils, ton père. Je me languis des terres d'Aman".

Un moment passa encore, avant qu'un magnifique navire de bois blanc ne vienne se mettre doucement à quai, à quelques encablures de là dans la baie. "-Il me reste un dernier présent pour ton fils avant que je n'embarque.""-Niben!", s'écria-t-elle doucement en se levant, attirant l'attention du garçon qui se mit à courir vers l'Eldar.
Accompagnant ses mots d'une caresse tandis qu'elle se mettait à hauteur du visage de l'enfant, elle dit: "- Le temps est venu pour toi de reçevoir ton Amilesse Tercenye, Erhil. Tu te nommeras Ithilion, en hommage à Tilion, l'Homme de le Lune." Prenant un air faussement sévère, elle termina: "-Tu es aussi intenable que lui!", provoquant le rire de la mère et du garçonnet.

La chaleur commençait à devenir insupportable sous le casque doté d'ailes de Cygne forgées. L'air de l'étable où était caché Ithilion avec une dizaine de chevaliers de sa garde, attendant le bon moment, pour charger semblait étouffant. Ou bien était-ce juste l'appréhension du combat que ressentait le jeune homme qui n'avait participé à une bataille ni même une escarmouche de sa vie?

La veille au soir, tandis qu'il marchait avec le gouverneur local le long des quais de Lond Galen en discutant, un navire de pêche à la coque couverte de flèches et aux voiles abîmées fit irruption dans le port. Un jeune second, qui ne devais pas avoir plus d'une quarantaine d'années, était semble-t-il aux commandes d'une poignée de survivants blessés. Aidé par les dockers pour finaliser la mise à quai, il se posa d'un bond sur la terre ferme et se précipita vers le maître des lieux. "-Des corsaires! Des corsaires attaquent Zaranin!"

Depuis la perte d'Umbar il y a un peu plus d'une centaine d'années, les raids fréquents des corsaires sur les côtes étaient devenus une plaie quasi quotidienne. Les attaques sur les villages étaient monnaie courante, et n'impliquaient que rarement plus d'une centaine d'hommes, mais chaque incident provoquait l'émoi, car il pouvait s'agir d'un présage d'une invasion à plus grande échelle.
Fronçant les yeux et attrapant le marin par le bras, le vieux gouverneur rétorqua:"-Du calme mon garçon! Allez-y doucement! Combien de navires, et de quel type?"
Reprenant son sang froid, le pêcheur répondit:"-Un intercepteur monseigneur, un peu plus de cent hommes. Ils mettaient cap sur le village lorsque nous avons été accrochés au large. Ils devraient être sur place demain à midi, avec ce vent ils devront ramer."
Il ne fallut qu'un instant à Ithilion pour prendre sa décision. Laissant enfin entendre sa voix, il déclara:"-Envoyez un messager à mon oncle, gouverneur. Votre plus rapide cavalier. Et donnez l'ordre à vos hommes de me rejoindre moi et ma garde aux portes de la ville dans une heure."
"-Avec tout le respect que je vous dois messire, le seigneur Imrazor ne recevra jamais le message à temps pour vous venir en aide, c'est de la folie. Il faut faire évacuer le village, pas combattre!"
En retrait depuis le début de l'échange, un vieux chevalier au cygne, Derufin, à la tête de la garde du neveu de son seigneur, se fit entendre:"-Vous avez entendu le garçon gouverneur. Nous avons à faire à un intercepteur. Si nous manquons l'occasion de les prendre à terre à Zaranin, nous perdrons toute chance de les arrêter. Impossible de savoir où ils frapperont ensuite, et chercher un navire de ce calibre au milieu du Belegaer avec nos propres vaisseaux serait purement inutile.


C'est ainsi qu'Ithilion se retrouvait en ce jour étouffant coincé avec une poignée de chevaliers dans une étable bordant la jetée du village, tandis que le petit contingent d'une trentaine d'hommes dont avait pu se séparer le gouverneur de Lond Galen avaient pris place sur la plage, en pleine vue des corsaires féroces qui s'apprêtaient à débarquer, surs d'eux et de leurs nombres. Le bruit des combats qui s'élevèrent quelques instants plus tard firent encore plus monter la pression dans la bâtisse, et le jeune guerrier se mit, comme les autres, à respirer plus fort. Ça doit marcher!- pensa-t-il. Tout ce que son oncle lui avait appris sur la stratégie ne pouvait échouer. Pas vrai? Pourtant, tout ce que le jeune homme avait en tête, c'étaient les horreurs que pouvait conter Derufin. Ce vétéran qui avait pour réelle distinction la capacité de ramener toute histoire glorieuse d'une bataille à son aspect le plus basique et peu reluisant de ce qu'était un combat.