- Général ! C’est l’émissaire Hereldan qui revient du Harad !
Et les grandes portes de la citadelle d’Osigiliath s’étaient refermées après le passage des deux cavaliers qui accomplissaient les derniers mètres de leur ascension vers le siège du pouvoir gondorien, culminant à des centaines de mètres au-dessus du niveau des eaux de la baie de Belfalas au sud. Pour l’émissaire, le fait de se retrouver près de son roi était tout à fait symbolique et sortait, cette fois, de l’ordre de son travail. Pour Hereldan, cela signifiait d’être revenu dans la demeure d’un homme miséricordieux, qui les comprenait lui et sa famille, car il était aussi père, et qui veillait sur son peuple et sa vie, comme un protecteur. De l’autre côté du désert, celui que le Gondor avait envoyé, avait touché le fond et dansé avec la mort. Il avait même regardé dans les yeux d’un fantôme qui se croyait homme, d’un serviteur de l’avarice qui se croyait dieu.
Le Grand Général du Gondor avait fait volteface au moment où il avait entendu le nom de son messager et que le tumulte inhabituel de la cité avait retenti jusque dans les grands halls du palais. Ensuite, la lumière avait pénétré par les portes massives que des gardes avaient ouvertes, portant aussi la chaleur du soleil dans la salle du trône froide et le bruit d’hommes qui approchaient. Quand ces derniers furent assez proches, leurs silhouettes floues étaient déjà devenues ceux de braves épuisés et porteurs de lourdes responsabilités. Sur le visage du premier, le Général lisait les périples auxquels il avait fait face, sur celui de son accompagnateur, une froideur qui déteignait avec la couleur de sa peau, chaude et foncée.
Tous les yeux étaient rivés ce valeureux homme de Gondor et son accompagnateur, seuls au milieu de la grande allée qui menait aux quelques marches de marbre, au trône et au roi. Le contraste y était : des hommes vêtus de vêtements de voyages, légers et détériorés par les vents et la rudesse des climats, sals et barbus, au sein d’une cour des plus splendidement décorée où les plus nobles du Gondor siégeaient. Soudain, le Grand Général s’avança, prenant bien soin de se placer entre le duo de voyageurs et son seigneur et les salua avec révérence. Courtoisement, il accomplit les gestes et modalités prescrits par sa profession et les gens de sa stature et fit amener du vin pour l’émissaire, ainsi que de l’eau pour le messager haradrim.
- Grandes sont les Puissances qui veillent sur le Gondor, ô fils du Roi ! Tu as traversé mille périples afin de porter la parole d’Ëarnil II, père de l’Arbre Blanc. Puisses-tu toujours être comblé d’abondance et sache que le Gondor n’oubliera pas que tu l’as servi fidèlement !
Il sourit à son émissaire, lui fit un signe de tête d’une approbatrice politesse et fit quelques pas vers la gauche. Puis, il se planta devant le Suderon qui, contre toutes attentes, était bel et bien en Anorien ce jour-là. En arrière-plan, le roi et la reine ne disaient rien, mais encadraient la rencontre de leurs regards.
- Le Gondor vous salue et vous souhaite la bienvenue en ses terres, fils du désert. Il honore la décision de votre seigneur de vous avoir envoyé jusqu’ici.
Le Général s’inclina en signe de révérence, témoignant de sa gratitude réelle ou de l’étiquette obligatoire.
- Vous vous trouvez ici en Anorien, au cœur de la cité d’Osgiliath, devant sa majesté le roi Ëarnil II et la reine Amloth. Leur miséricorde et la bonté de leurs pères vous sont offerts en cadeaux tant que votre parole servira les Enfants de Numenor.
Le Général fit un pas vers l’Homme en demandant aux gardes d’accompagner l’émissaire vers d’autres quartiers où on s’occuperait d’honorer son service. En regardant le guérisseur droit dans les yeux, il continua :
- Vous serez pris en charge par mes hommes qui tâcheront de vous reconnaître comme un précieux invité en ces terres. On vous mènera vers le Cercle de la connaissance où vous ferez la rencontre des plus grands érudits de la Terre-du-milieu. Nous pensons que vous pourrez y apporter votre contribution.
Au moment où il termina cette phrase, quatre gardes vinrent en la direction du Général, qui visiblement, avait prononcé le mot d’ordre. Sur le visage de ce dernier, on lisait la confiance et l’assurance.
- J’allais oublier ! Vous a-t-on fait parvenir une missive ? dit-il calmement.
PV. SAREZ SA'HAAN - GUÉRISSEUR PERSONNEL DE XERXÈS
De la longue vie de Sarez Sa’haan, il n’avait pas le souvenir d’avoir effectué un aussi long voyage que celui-ci. Il revoyait encore le jour où il fut conduit devant le Sultan, qui lui donna l’ordre de se rendre en Gondor pour y apporter sa science et trouver un remède à un mal qui ronge sa population. Surpris d’abord d’une telle mission, Sarez Sa’haan connaissait toutefois suffisamment bien son Seigneur qu’il ne l’enverrait pas aussi loin et auprès d’un peuple loin d’être un allié du Harad s’il n’y avait pas une récompense digne de ce nom à la clé…ou quelque chose que le Sultan désire acquérir…Sarez n’était pas un homme de politique ; c’était un homme de science, un guérisseur chevronné qui avait suivi le long et difficile enseignement des guérisseurs des Sultans du Harad, ceux ayant le plus de connaissance en matière de soins et dont les tâches, outre celles de soigner le Sultan et les siens, étaient aussi de former les novices et tous les autres guérisseurs nomades qui allaient d’Amrûn à Zimrênzil, en passant par les villages des oasis isolées du désert et même parfois jusqu’à Felaya. Or cette fois, c’est accompagné d’un étranger qu’il fit ce long voyage jusqu’à Osgiliath, où il allait rencontrer le Roi du Gondor et d’autres guérisseurs venant d’autres peuplades. Si cela avait été que pour la science, Sarez se serait presque réjouit d’une telle opportunité de rencontres et d’échanges. Or, il sentait très bien le poids politique derrière sa venue en Gondor, un poids qui n’était que plus lourd à porter compte tenu du message qu’il devait remettre au Roi du Gondor en personne.
Il n’échangea guère durant le voyage avec l’émissaire du Gondor. Il se contenta de faire en sorte qu’il arrive en vie et en meilleure condition physique à Osgiliath que lors de son arrivée à Amrûn… Sinon, quelle image cela aurait donné de sa part ? Une fois à Osgiliath, Sarez resta subjugué par la beauté et la splendeur des lieux. Rien à voir avec l’architecture des Haradrims…Ce qu’il avait sous les yeux était juste magnifique et il ne savait où donner de la tête tant il voulait pouvoir tout voir ! Cependant, il ne se sentait pas à l’aise ici, parmi les anciens ennemis du Harad et son regard jetait une lueur glaciale sur tous ceux qu’il croisait, tant il était méfiant et sur ses gardes. Il suivit néanmoins docilement celui qui répondait au nom de Hereldan jusqu’au château, où les y entendaient le Roi et sa Reine, ainsi qu’une bonne partie de sa cour et de leurs généraux. Ce fut d’ailleurs l’un d’entre eux qui les accueillit. Sarez garda le silence et écouta attentivement ce qu’il se disait. La Langue Commune n’était pas son fort. Il la comprenait bien mieux qu’il la parlait et lorsqu’il la parlait, un fort accent Haradrim venait sonner sur chaque mot qu’il prononçait. Après que Hereldan fut congédié, le Général s’adressa à lui avec une grande politesse, ce qui étonna beaucoup Sarez, qui ne sut que répondre et s’en tint à une inclinaison du buste en guise de remerciements. Lorsqu’il se redressa, son regard tomba rapidement sur le Roi Eärnil II et sa Reine, Amloth, que le Général lui présentait. Mais il n’eut le temps de les observer plus avant, car les yeux du Général trouvèrent les siens. Il se concentra alors pour comprendre ce qu’on lui disait. Heureusement, le Général articulait suffisamment pour qu’il puisse saisir la quasi-totalité de ce qu’on lui disait. Il s’inclina à nouveau puis répondit :
Que mon Seigneur soit remercié. Je ferais ce que je pourrais pour aider le Gondor, comme l’exige mon divin Souverain…
Sarez Sa’haan vit des gardes s’approcher de lui. Peu assuré et méfiant, il fit un pas en arrière, mais ne voyant pas de signe d’agressivité sur le visage du Général, il tenta de se rassurer et l’écouta lui demander s’il était porteur d’un message. Sarez hocha la tête :
Oui mon Seigneur.
Il tira d’un pan de sa longue cape de voyage le rouleau de parchemin contenant le message de Xerxès. Ce dernier l’avait dicté à l’un de ses scribes en présence de Sarez puis il y avait apposé sa signature et, lorsque l’encre fut sèche, il lui tendit le rouleau de parchemin en lui disant :
Au Roi uniquement.
Sarez le tendit des deux mains au Général en disant :
Mon divin Souverain, Xerxès le Glorieux, a exigé que ceci ne soit connu que du Grand-Roi Eärnil II, mon Seigneur.
Puis il attendit avec une certaine appréhension, la suite des événements, ses yeux noirs allant du Général aux soldats puis, derrière eux, au Roi et à la Reine…
Message de Xerxès:
Au Grand-Roi Eärnil II, Souverain du Gondor.
Voici que les chemins du Gondor et du Harad se croisent à nouveau, mais cette fois, ce n’est pas l’arme à la main. Car en ce jour, moi, Xerxès, j’entends votre appel à l’aide et ai choisi de mettre nos rancœurs passées de côté. Ainsi, je vous envoie l’un de mes meilleurs guérisseurs, Sarez Sa’haan, un homme sage qui est passé maître dans l’art de la guérison. Fort expérimenté de par son âge avancé, il saura mettre sa science à profit pour mettre un terme au fléau qui vous touche.
Votre émissaire a évoqué une grande récompense pour celui qui découvrirait l’ultime remède. Comme les autres Seigneurs qui auront répondu à votre appel, j’ai toute foi en mon envoyé. Cependant, JE ne suis pas comme vos autres Seigneurs. Notre Glorieux Dieu-Soleil m’a béni de ses rayons protecteurs et m’a fait son Fils, Guide et Protecteur du Grand Harad, de son Royaume, le Désert, et de son Peuple, les Haradrims. Si Sarez Sa’haan découvre le remède et vous en fait don pour vous sauver vous et votre peuple, sachez qu’un Dieu-Roi n’exige nulle richesse d’aucune sorte. Pour la main tendue que je vous offre aujourd’hui, le Dieu-Roi Xerxès exige autre chose et alors, je requerrais audience avec Votre Majesté, à Harnen, en Harondor, pour en discuter de vive voix avec le Souverain du Gondor.
Signé : Xerxès, Premier du Nom. Sultan et Dieu-Roi du Harad, Fils légitime du Dieu-Soleil, Roi du Désert et Protecteur de la Foi.
Lorsque les présentations eurent été faites et que le roi eut posé son regard sur ses hommes y appliquant le sceau de son jugement, la salle du trône devint beaucoup plus calme. Accompagnés d’officiers en armure et de leur garde, le Grand Général et le guérisseur du Harad dédallèrent les différentes structures de pierre luisante à travers les innombrables corridors d’Osgiliath. Dans son trajet, presque jamais le groupe et son escorte ne s’afficha au petit peuple, empruntant seulement les passages fréquentés par les hauts-gradés de l’armée, les nobles et proches du roi, ainsi que les quartiers les mieux famés de la grande capitale. C’était d’ailleurs dans cet environnement qu’on trouvait la grande agora construite dans la même enceinte que le plus grand lieu de savoir des Hommes en Terre-du-milieu : la Grande Bibliothèque d’Osgiliath.
Au moment de pénétrer dans ce lieu que certains qualifierait du plus précieux joyau de la science numénoréenne, un silence quasi-total n’était qu’embelli de l’écho de quelques voix calmes qui rebondissaient sur les piliers et dans l’air. Un grand chandelier, ainsi que de multiples torches accrochées aux colonnes fabriquaient une lumière chaude et tamisée dans cet espace où venaient les gens dont l’esprit était paisible et ouvert. Dans l’agora central, un faisceau de lumière laissait entrer le regard des Valar par une ouverture parfaitement centrée au plafond, révélant la poussière qui dansait en vrilles. Telle une colonne vertébrale du bâtiment, ce rayon immaculé semblait relier le sol au ciel, illuminant les formes du plancher, soit les multiples peintures faisant hommage à l’Île Bénite, à ses rois et à ses plus grands savants. On y voyait ici une véritable figure emblématique de ce lieu : Tar-Meneldur, cinquième roi de Numenor, qui passa une grande partie de sa vie à étudier la science des Eldar et à établir des cartes du ciel, qui deviendraient un élément clé de l’art de la navigation, fierté des gens de l’Île. Un peu partout, on pouvait lire son nom sous des effigies de lui taillées dans la pierre, l’imposant comme l’ancêtre-protecteur de ces lieux de savoir.
Alors que l’agora et ses penseurs s’ouvrait à la petite escorte et ses officiers, le groupe bifurqua vers la droite pour s’engager dans un passage plus sombre qui empruntait un escalier en colimaçon. En très peu de temps, le cliquetis cafouillant de leur pas dans les marches s’estompa quand le groupe rejoint un nouveau passage menant cette fois vers une double porte massive. Sur son bois, des structures en métal l’alourdissaient et on y voyait des gravures avec, encore une fois, des idoles représentant le Roi Connaisseur. À ce moment, les gardes se postèrent de part et d’autre des deux portes, laissant le soin au Général d’ouvrir lui-même la porte, tranquillement, comme si le mystère de l’autre côté l’avait exigé. Dans un grincement que l’amplitude des pièces de part et d’autre de la porte avaient amplifié, le Général poussa davantage l’une des deux portes faisant signe au guérisseur de pénétrer dans l’enceinte du lieu qui semblait être sa destination finale.
À l’intérieur, un grand anneau de marbre s’inscrivait parfaitement dans un cercle de colonnes énormes qui devaient rajouter une bonne dizaine de mètres à la hauteur de la bibliothèque sans que cela ne soit apparent de l’extérieur. Entre ces colonnes cylindriques et massives, l’obscurité était dense et ne laissait pas entrevoir la véritable forme, ni profondeur de la pièce. Dans les murs qui se fusionnaient progressivement pour former un dôme, des ouvertures laissaient le jour éclairer l’anneau de matériau blanc qui définissait la géométrie du lieu. Autour de cet anneau, assis à égale distance les uns des autres, des hommes à l’apparence différente conversaient, puis se turent quand le guérisseur sortit de l’obscurité et se révéla à eux.
Un homme à la barbe longue et épaisse fit un signe ascendant de la main et le reste de ceux qui l’accompagnaient se levèrent aussitôt, dénotant de par la vitesse d’exécution la jeunesse de certains et l’âge avancé d’autres. On entendait des toussotements, des chuchotements, ainsi que le bruit de l’un d’eux qui avait même osé bailler. Une ambiance étrange régnait, car malgré le côté mystique et occulte des lieux, ceux qui participait à cette mystérieuse séance semblaient des plus décontractés. On avait même pu repérer un sourire à l’occasion.
Directement en face, de l’autre côté de l’anneau de marbre, un vieillard s’exprima dans une langue commune soignée et d’une voix réconfortante.
- Soyez le bienvenu, homme de foi et de science. Prenez place, s’il vous plaît, lui dit-il en indiquant le siège à emprunter.
Les deux individus qui occupaient les chaises de chaque côté de celle qui avait été réservée pour le guérisseur Sa’Haan présentaient des allures très distinctes. À sa gauche, un homme d’une évidente jeunesse se tenait sur le bord de sa chaise dans une posture solide et confiante. Une lueur brillait sur son visage et les vêtements qu’il portait provenaient de contrées aux coutumes mystérieuses. À la droite de Sa’Haan, un homme barbu, qui, au premier coup d’œil, projetait l’image d’un vagabond, la pipe à la main et la cape effritée par le temps. Sa barbe était poivrée et son visage creusé de rides que son grand chapeau laissait à peine deviner. Un bien singulier personnage dans ce haut-lieu solennel. L’homme qui avait invité le guérisseur à se joindre à eux reprit à nouveau la parole, un léger sourire aux lèvres.
- Nos rois nous ont rassemblés ici pour que la science porte secours aux Hommes. Vous aurez deviné, cher collègue, que tous nos compères ici ne sont ni des généraux, ni des seigneurs. Vous voici entouré des plus grands hommes de connaissance de toute la Terre-du-milieu. Si vous êtes assis avec nous aujourd’hui, c’est bien parce que l’on n’hésiterait guère à vous donner ce même titre dans votre propre contrée.
L’homme à la pipe toussota un brin de fumée et se pencha vers le Haradrim, en lui chuchotant :
- Ne vous prenez pas trop au sérieux !
Puis, celui qui semblait être le maître de cérémonie et un Gondorien par son apparence continua son introduction :
- Le Gondor a mal, monsieur. Les hommes tombent comme des mouches à cause d’un mal qui provient de l’est. Quelque chose en a après le Gondor et répand son infecte maladie dans nos provinces. D’abord, on croirait être témoin d’une simple grippe, mais les gens deviennent rapidement livides, puis inconscients. Finalement, ils deviennent méconnaissables et ressemblent davantage à des morts qu’à nos proches. Nous avons perdu bon nombre d’hommes et de femmes et si la science des Elfes semble pouvoir plutôt aisément guérir des cas individuels, personne n’a encore trouvé un remède efficace pour les masses.
Il se tût et fit un regard insistant et intéressé au guérisseur de Xerxès.
- Dites-moi, cher collègue, que sait-on du mal qui gangrène le Gondor dans le royaume d’où vous êtes issu ?